Maxime Lefrançois est enseignant-chercheur en intelligence artificielle à l’École des Mines de Saint-Étienne depuis 2017. Le 18 janvier dernier, MEP a eu le plaisir de l’interroger sur son parcours, ses recherches et sa vision des ingénieurs de notre école.

Bonjour Monsieur Lefrançois, merci d’accepter de nous recevoir. Nous voudrions commencer par vous demander de nous décrire rapidement votre parcours ?

J’ai intégré l’École Normale Supérieure de Cachan après une prépa PSI en province. J’ai été lauréat de l’Agrégation de Mécanique en 2008. J’ai ensuite suivi un double cursus à l’Université de Grenoble, d’abord pour un Master en Traitement du Signal en 2009, puis un autre en informatique en 2010. J’ai également donné des vacations de mécanique en parallèle de mes études. J’ai ensuite préparé ma thèse dans l’équipe WIMMICS à Inria d’Université Côte d’Azur en représentation des connaissances lexicographiques. À partir de 2014, j’ai travaillé à l’École des Mines de Saint-Étienne en tant que post-doctorant sur un projet Européen dans le domaine des Smart Grids, le projet ITEA2 SEAS. J’ai amorcé différents travaux dans le domaine des ontologies et de la génération de graphes de connaissances, et participé au développement de standards internationaux comme l’ontologie Semantic Sensor Networks de l’OGC et du W3C, et l’ontologie Smart Applications REFerence Ontology de l’ETSI. Après être devenu Enseignant-Chercheur en 2017 et membre du laboratoire LIMOS, j’ai commencé à co-encadrer des doctorants, participé à différents projets de recherches, pris des responsabilités d’enseignement et continué à contribuer à l’animation scientifique de ma communauté.

Pourquoi avoir quitté la mécanique ? C’était pourtant votre spécialité en sortant de l’ENS Cachan.

Je ne me suis pas senti une vocation pour l’enseignement des sciences de l’ingénieur en Lycée, en tout cas pas avec des méthodes traditionnelles d’enseignement. Je voulais m’intéresser à d’autres manières d’enseigner, via des environnements informatiques, et des systèmes d’interaction homme-machine innovants. D’où mes choix de Masters. Ce sont les cours d’informatique, et notamment les cours de représentation des connaissances et de traitement du langage naturel, qui m’ont le plus inspirés. J’avais l’impression qu’il y avait encore tant de choses à découvrir dans ce domaine en pleine ébullition. C’est cette perspective de vastes découvertes qui me semblait et me semble toujours plus attrayant.

Pourquoi choisir la sémantique ?

En linguistique, la sémantique est l’étude de la signification des énoncés. Transposé à l’informatique, c’est l’étude de la signification des programmes informatiques. Transposé au Web, c’est permettre aux machines de comprendre la signification des symboles contenus dans les pages web, mais aussi les fonctionnalités offertes par des services web, savoir formuler une requête et interpréter une réponse. C’est un complément formidable à toutes les autres techniques d’intelligence artificielle : ce domaine développe le langage des IA de demain. Et avec le développement de l’Internet des Objets, nous concevons le langage des Systèmes Cyber-Physiques du futur.

Où travaillez-vous ? 

Je travaille dans l’équipe Informatique et Systèmes Intelligents de l’institut Henri Fayol, l’un des cinq centres de recherche et d’enseignement de l’École des Mines de Saint-Étienne, et je suis membre du Laboratoire d’Informatique, de Modélisation et d’Optimisation des Systèmes (LIMOS), une unité mixte de recherche du CNRS. L’institut Henri Fayol c’est une équipe de 53 permanents : 45 enseignants chercheurs ; 5 personnels administratifs et techniques ; 3 ingénieurs experts ; et 38 doctorants et post‐doctorants.

Quel est votre domaine de recherche aux Mines de Saint-Etienne ?

Je m’intéresse aux langages et protocoles pour l’interopérabilité sémantique dans un contexte d’industrie du futur au sens large. L’industrie manufacturière, les bâtiments intelligents, les réseaux énergétiques, l’agriculture numérique, tous ces domaines opèrent une transition vers le numérique, avec l’emploi d’Intelligences Artificielles et le déploiement de réseaux Internet des Objets. Dans ces Systèmes Cyber-Physiques, il est crucial que les dispositifs et services aient la capacité de se découvrir, d’échanger, de se comprendre, de s’adapter, d’inter-opérer. Je travaille en particulier sur les problèmes d’interopérabilité des données qui découlent de l’intégration d’applications existantes ou de l’évolution des systèmes. L’interopérabilité est l’aptitude de deux ou plusieurs systèmes ou composants à échanger des informations et à utiliser les informations qui ont été échangées. J’étudie donc les problèmes liés. Les contraintes inhérentes aux objets et aux protocoles de l’Internet des Objets apportent des défis supplémentaires que nous traitons dans différents projets de recherche en cours.

Pourquoi avez-vous choisi la recherche et l’enseignement ? Qu’est-ce que cela vous apporte ?

Le métier d’enseignant-chercheur est d’une grande richesse ! La recherche en milieu académique permet d’avoir une grande indépendance dans le choix des sujets sur lesquels on veut travailler. À l’école des Mines de Saint-Étienne, mon métier comporte également une composante importante de transfert auprès des industriels par le biais de contrats de R&D, thèses CIFRE, mais également par le biais de contributions à la normalisation. L’enseignement enfin me permet de transmettre mes connaissances et ma passion pour les sciences et technologies de l’informatique, et d’essayer de former au mieux les étudiants aux besoins du monde du travail exprimés par nos partenaires industriels. Ajoutons quelques déplacements professionnels, du management, de la gestion de projets, des responsabilités collectives diverses… Nous jonglons avec de nombreuses casquettes et des tâches très variées. J’ai trouvé mon Ikigai.

Quel est le profil de vos étudiants ?

La majeure partie des étudiants à l’École des Mines de Saint-Étienne sont intéressés et intéressants. Les années en classes préparatoires leur permettent d’acquérir de véritables capacités de travail et d’apprentissage, et l’aspect généraliste de la formation à l’école leur apporte une vision large du métier d’ingénieur et de bonnes capacités d’adaptation. La plupart de mes étudiants ont choisi de se spécialiser dans l’informatique. Ils ne sont pas encore experts, mais développent rapidement les bons automatismes, car ils détiennent les méthodes pour se former rapidement et efficacement pour réaliser leurs missions. Ils sont intéressés, motivés, ont des compétences et savent se donner les moyens de réaliser les projets qui leur tiennent à cœur. La plupart des cours sont en anglais, puisqu’ils sont mutualisés avec le parcours international Cyber-Physical and Social Systems: AI and IoT, du Master Informatique de l’Université de Lyon. Le niveau d’anglais des étudiants est globalement très bon.

Pourquoi avoir choisi le monde de la recherche académique plutôt que la R&D en entreprise ?

Obtenir un poste de permanent dans le monde académique est difficile et parfois éprouvant, mais le « jeu en vaut la chandelle ». Lorsque j’ai obtenu une place, j’ai été très satisfait, cela m’a permis d’avoir un poste épanouissant et un vrai équilibre. Bien que le salaire soit globalement moins élevé que ce à quoi on pourrait prétendre en entreprise, le métier d’enseignant-chercheur offre une richesse phénoménale : diversité des activités, enrichissement intellectuel, transmission de connaissances et conception des cours. Il permet aussi de voyager, de rencontrer ses homologues et de développer ses projets de recherche. Ce métier permet une certaine indépendance. Nous ne dépendons pas de clients pour guider nos choix de recherche.

Pourquoi avoir choisi de faire de la recherche académique en France et non à l’étranger ?

Je conseille aux futurs chercheurs d’avoir au moins une expérience internationale. Elle permet de s’ouvrir au monde, de découvrir une autre manière de travailler et compte fortement dans les dossiers de candidature aux postes de Maître de Conférences. Pour ma part, je n’ai jamais été en manque de projets et de défis à l’École des Mines de Saint-Étienne, et j’y ai obtenu un poste de permanent sans avoir eu l’occasion d’avoir une expérience conséquente à l’international. Cependant, notre service des relations internationales nous appuie pour effectuer des séjours à l’étranger, j’ai été heureux d’en bénéficier en 2019 avec un séjour de six mois à l’Université Polytechnique de Madrid. Quoi qu’il en soit, j’ai maintenant des responsabilités et mon rythme de croisière ici, et un bon nombre de collaborations à l’international. Je ne ressens pas le besoin de m’expatrier pour en créer de nouvelles.

En conclusion, qu’est-ce que l’École des Mines de Saint-Étienne apporte dans votre domaine de recherche ?

Il s’agit d’un établissement d’excellence avec des étudiants de haut niveau. L’institut Henri Fayol possède un large panel de compétences scientifiques et de plateformes technologiques, ce qui nous rend attractifs pour monter des projets de recherche ambitieux répondant aux problématiques et défis de l’Industrie et des Territoires du futur. De plus, l’Ecole des Mines de Saint-Etienne fait partie de l’Institut Mines Télécom qui dispose d’un fort rayonnement à la fois national et international, et nous permet collectivement d’être un acteur clé des grandes transformations actuellement à l’œuvre dans notre société. Nous ne manquons pas de financements, mais nous sentons que la recherche dans le secteur public peine à attirer les étudiants et les jeunes docteurs. Nous espérons que la programmation pluriannuelle de la recherche et l’augmentation de 30% du salaire des doctorants d’ici à trois ans n’est qu’une première étape, et que nos métiers seront prochainement revalorisés afin que la recherche française (et par effet domino l’enseignement supérieur) ne s’essouffle pas.

Quel sont vos projets actuellement en cours ?

En ce moment, je co-encadre trois thèses, un étudiant de l’École en CDD pendant sa césure, et une post-doctorante. Je participe notamment au projet ANR COSWOT, dédié au développement d’applications intelligentes et décentralisées pour des objets connectés. Par ailleurs, je préside le comité d’organisation de la Plate-Forme Intelligence Artificielle 2022 (PFIA), qui réunira chercheurs, industriels et étudiants autour de conférences et d’ateliers consacrés à l’Intelligence Artificielle (IA) à l’École des Mines de Saint-Étienne en juin prochain.

Nous remercions chaleureusement Maxime Lefrançois pour le temps qu’il nous a accordé. Mines Études et Projets (MEP) propose à ses clients les compétences en informatique des étudiants de l’École des Mines de Saint-Étienne évoquées par monsieur Lefrançois. MEP est la Junior de la section généraliste de l’École des Mines de Saint-Étienne. N’hésitez pas à nous demander un devis pour réaliser vos projets.